lundi 4 juillet 2011

L’Europe, désespérément (1/2)



De ma période d’étudiant, j’ai gardé le souvenir d’une première Europe, qui bon an mal an, était plutôt une structure de coopération et de solidarité entre ses pays adhérents, favorisant la stabilisation des taux de changes et des prix agricoles, ayant fait des pays la composant, un exportateur de matières premières agricoles, avec une amélioration significative des revenus de ses agriculteurs grâce à la PAC.

Du côté de l’industrie, on devait à cette Europe d’avoir permis l’émergence en position de tête d’une industrie nucléaire, d’une industrie spatiale (Ariane Espace) et d’une industrie aéronautique des gros porteurs (Airbus), au grand dam de l’américain Boeing jusqu’alors en position de monopole, tandis qu’elle organisait et finançait la reconversion des industries en déclin (charbon et sidérurgie).


De mes voyages au Portugal, en Grèce ou en Irlande dans ces années-là, je garde aussi le souvenir de toutes ces infrastructures, de ces routes rutilantes cofinancées par l'Europe pour favoriser le rattrapage de nouveaux entrants dans la CEE.

Etant d’une génération n’ayant pas connu les désastres des deux guerres mondiales et de la crise économique des années 30, il avait également fallu rappeler aux jeunes que nous étions que, ce qu’on appelait la construction européenne visait également à éviter à tout prix que de telles catastrophes ne se reproduisent. 

Pourtant, lorsqu’on nous a proposé en 1992 de ratifier le traité de Maastricht qui prévoyait une Union Economique et Monétaire, dont l’aboutissement serait en 2000 la création d’une monnaie unique[1] et la création d’une banque centrale européenne (BCE), j’ai voté « contre ».



En effet, depuis l'Acte Unique de 1986, l’Europe était devenue une machine redoutablement efficace d’accélération des déréglementations (parfois souhaitables) et de privatisations tous azimuts dans l’air du temps, réduisant à l’impuissance les Etats nationaux adhérents et instaurant l’avènement d’une sphère financière hypertrophiée, non contrôlable et hautement nuisible.

Dans cette Europe pullulent les paradis fiscaux, le plus souvent des principautés confettis, sans que cela ne la gêne qui que ce soit, alors que ces derniers doivent leur opulence à l’argent du crime organisé, à la fraude et à une évasion fiscale massive, mettant à mal à la fois les finances publiques des Etats et l’équité fiscale (les riches échappent largement à l’impôt).




L’ouverture contrainte à la concurrence de certains secteurs des monopoles naturels comme les chemins de fer, avec séparation des activités d’exploitation et de construction/maintenance des infrastructures, malgré le chaos provoqué en Grande-Bretagne par le parti conservateur, attestait de manière emblématique l’aveuglement idéologique de la politique européenne.





The navigators de Ken Loach (2001) "This is England" (BO)



Avec la monnaie unique, les pouvoirs publics nationaux perdaient deux leviers essentiels de politique économique : la politique de change et la politique monétaire désormais confiée à une BCE ayant pour mission exclusive la stabilité des prix et non aussi l’activité et l’emploi de chacun des Etats ayant adopté cette monnaie. Par conséquent dans un tel système, en cas de déséquilibre dans un pays et de contrainte budgétaire forte pour les pouvoirs publics, l’ajustement ne pourrait plus se faire que par des baisses de salaires et des ajustements d’effectifs, ce qui serait beaucoup plus violent qu’une dévaluation.



Dix ans après l’introduction de l’Euro, son bilan est mitigé. Selon Guillaume Duval[2], les principaux apports pour la zone Euro furent la stabilité des prix et des taux d’intérêt relativement plus bas, tandis que «les conditions défectueuses de gestion de la zone  ont néanmoins suscité d’autres formes de déséquilibre et débouché sur la crise actuelle des dettes publiques de certains Etats membres », au point de menacer aujourd'hui la zone Euro de désintégration.


Le citoyen lambda qui a la chance de voyager en Europe, apprécie le petit confort de ne plus à avoir à faire d’opération de change quand il se déplace dans les pays membres de l’union monétaire, sans pour autant pouvoir se départir du sentiment que les niveaux désormais stratosphériques atteints par les prix dans les capitales et la baisse de son pouvoir d’achat remontent à l’instauration de l’Euro. 



Je passerai sur le bénéfice ou même l’effet psychologique de la suppression des frontières qui fit suite aux accords de Schengen. Elle ne m’a pas guère laissé de souvenir. Peut-être parce que la déréglementation du transport aérien ayant fait baisser les prix (voici une déréglementation qui fut bonne !), on se déplaçait désormais par avion, d’aéroports en aéroports, où les files d’attente de contrôle pour assurer la sécurité des vols aux aéroports ont eu tendance à s’allonger, et par là, qui sait, à maintenir la permanence du sentiment de toujours franchir des frontières.





Si l’intégration de l’Autriche, et de la Finlande et de la Suède n’ont pas posé de problèmes (il s’agissait de pays riches, dotés d’un système social exemplaire), il en alla tout autrement avec les élargissements de l'UE en faveur des pays d’Europe Centrale et Orientale anciennement communistes qui ont suivi, et dont le niveau de développement n’était en rien comparable aux nôtres (2004 et 2007[3]).

Sur le plan symbolique, politique et géostratégique, leur entrée était une évidence. Sur le plan économique, elle signait l’impossibilité d’un approfondissement ultérieur de la coopération européenne, pour laisser la place à une concurrence généralisée d’Etats aux intérêts souvent divergents.

Pas ou peu de budgets pour mettre ces pays entrants au niveau des autres, la concurrence devrait équilibrer tout ça.

La boite de Pandore de la concurrence sociale et fiscale fut par conséquent ouverte. En pleine accélération de la « mondialisation » des échanges  et des systèmes productifs, ces pays offraient une alternative intéressante d’implantations à des délocalisations plus lointaines, du moins pour des productions concernant la région.

Au terme d’une litanie de « plans sociaux », après avoir minoré le phénomène de délocalisations, on finit par s’alarmer de la désindustrialisation de notre pays.



[1] L'euro est mis en circulation sous sa forme fiduciaire le 1er janvier 2002 dans les douze pays de la zone euro avec une période de double circulation euro/monnaies nationales.
[2] «La France d'après, rebondir après la crise» de Guillaume Duval

[3] Le coût salarial d’un polonais était par exemple en moyenne 5 fois plus faible que celui d’un français

 

Les délocalisations - Anne Roumanoff


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